C’est évidemment difficile de prendre au sérieux un photographe qui trône en quatrième de couverture habillé en hot-dog, même si c’est la réplique de celui de Carlo du dessin
animé Bob l’éponge.
J’aimerais vous dire que je ne me promène jamais en Big Kahuna burger (Pulp Fiction) pour aller faire mes courses, qu’il ne m’arrive jamais de faire des conf call habillé en sandwich pastrami (Quand Harry rencontre Sally) que jamais, au grand jamais, je ne sors mes poubelles vêtu d’un costume de cheesecake (Friends) mais cela serait totalement faux. C’est chose courante.
Si vous veniez chez moi à bord d’une Peugeot 403 cabriolet, avec un imperméable beige et que vous inspectiez ma penderie en me parlant de votre femme (Columbo), vous y découvririez la plus grande collection de costumes de plats culinaires ayant participé à un film, une pièce de théâtre, une série télévisuelle ou un opéra…
Comme vous l’aurez compris, la culture a une place prédominante dans ma vie surtout si elle est culinaire.
En 2020, en pleine période de crise du Covid, la culture a enfin été décrétée comme « non essentielle ». Ces deux mots ont mis la littérature, la peinture, le théâtre, la photo, la musique, le cinéma, tout ce qui a construit notre société au rang d’anecdotique.
Il était temps.
C’était évidemment plus essentiel d’admirer le stock de papier toilette accumulé pour les trois prochaines années, de développer nos talents d’écriture sur les autorisations de sortie, de s’extasier sur des films de petits chats sur internet, de trier ses chaussettes par palette de couleurs ou de ne rien faire du tout et d’attendre que le confinement se termine.
En effet, quoi de plus secondaire que de regarder Big Fish (Tim Burton), de dévorer l’ennuyeux Chroniques martiennes de Ray Bradbury, de s’attarder sur le portrait de Natalia Vodianova par Paolo Roversi en écoutant If you really love me de Stevie Wonder, de vibrer en regardant House by the railroad d’Edward Hopper (maison qu’Hitchcock a fait reproduire à l’identique pour son très secondaire film Psychose), de s’émerveiller en découvrant les livres de collages de John Stezaker en se laissant enivrer par la quelconque Casta Diva de Bellini…
Fin 2020, avec l’aide d’un certain nombre d’artistes, j’ai commencé la série Non essentiel qui est ensuite devenue Portraits croisés. L’idée était simple : croiser des personnalités de la culture d’aujourd’hui (non essentielles) avec des œuvres, des artistes de la culture passée au sens large du terme (encore moins essentielles).
En regardant cette série, vous vous imaginez sûrement que Pierre Richard a été habillé en spermatozoïde (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe…) tenue fabriquée spécialement pour l’occasion par un professionnel, que le costume de Caroline Vigneaux (Wonder Woman) a été fait sur mesure, que nous avons transformé Matthieu Chedid avec une moustache, une canne et des vêtements noirs et blanc (Charlot), que Pénélope Bagieu a été maquillée pendant des heures par un spécialiste des effets spéciaux, que nous avons placé un livre sous le coude gauche de François Berléand après lui avoir collé une fausse barbe, lui avoir fait porter des vêtements d’occasion et lui avoir raconté des vieilles blagues ashkénazes même pas drôles, que nous avons également placé deux livres sous le coude de Guillaume Gallienne après lui avoir mis une perruque, maquillé et habillé dans un costume précisément identique à celle d’un tableau de Molière…
Absolument pas. La réalité c’est que Pierre aime aller à la laverie avec la tenue de Woody Allen, que Caroline tourne sur elle-même dès qu’elle entend les mots « cambriolage » ou « Carambar », que Matthieu aime sortir incognito en portant une moustache et des vêtements trop grands dans lesquels il peut cacher toute sa famille, que Pénélope a de gros problèmes de peau et qu’elle souffre de convulsions dès qu’on lui envoie de l’eau bénite ou même de la Badoit, que François ne sort jamais sans un livre sous le coude, qu’il a des goûts douteux pour les vêtements d’occasion, que Guillaume ne sort également jamais de chez lui sans deux livres sous le coude car il veut toujours faire mieux que François, et qu’il refuse de se faire couper les cheveux depuis 2004.
Et moi dans tout cela ? Eh bien je ne suis qu’un petit photographe un peu reporter qui, lorsqu’il ne se promène pas en hot-dog, capture sa réalité des personnalités essentielles qui nous font rêver. Merci à eux de m’avoir suivi dans ce projet complètement dingue, merci mille fois à Cultura d’avoir soutenu cette série si proche de ses valeurs et par son intermédiaire, d’avoir défendu cette idée de la culture primordiale et accessible à tous.
Si je devais résumer Portraits croisés, je dirais que moi et toute mon équipe (assistants lumières et numériques, directeur artistique, productrice, styliste, maquilleurs, coiffeurs, model-maker, décorateurs, retoucheur, tireur…) tous ceux qui ont participé à ce projet, sommes habités par la culture et que notre souhait le plus cher est sûrement de transmettre cette passion au plus grand nombre, car elle est essentielle.
Tous ceux qui sont arrivés péniblement à la fin de ce texte se disent probablement qu’il n’est pas essentiel, et ils ont totalement raison.
Vive le hot-dog libre et Mamika forever.
Sacha Goldberger